Galerie Hors-Champs (75003), juin/septembre 2012

Du 26 juin 2012 au 22 septembre 2012, la Galerie Hors-Champs présente les clichés générationnels du jeune photographe Hannibal Volkoff. Après Larry Clark, Gus Van Sant et Nan Goldin, malgré le poids des références, Hannibal Volkoff trouve sa place, auprès de ses modèles / congénères qu’il dépeint en une variation maniériste, entre sextape, réseaux virtuels, et clins d’œil aux grands maîtres.

Rapsodie sur une jeunesse actuelle

L’exposition « Identification d’un masque : nous avions ri des prophéties, et dansé sur leur linceul » compose ce que l’on pourrait appeler une variation générationnelle, autour de ces sphères définies par l’insouciance, le sexe, la fête. Elle s’attarde sur leur aspect initiatique, l’assimilation simultanée des codes sociaux et de ce que peut son corps, du pouvoir qu’a son corps contre ces codes. La culture et la contre culture comme un jeu de test, de dosage de la sphère, la liberté des pulsions comme un tâtonnement fragile et impatient des identités.

Culte du corps / culte de l’image

L’adolescence que Hannibal Volkoff photographie réclame qu’on la voit, qu’on la prenne en photo. Attitudes provocatrices, looks improbables, expérience des limites, les poses sont des messages au sein d’une société du culte de l’image, du «quart d’heure de célébrité», de l’immédiateté la plus virtuelle. Il ne fait pas des mises en scène de corps, mais prends en photo des corps qui se mettent en scène.

Les sens en éveil

Hannibal Volkoff est toujours attentif à la texture, à « une peau de l’image » granulée, scrutant et sculptant ce qui, dans ces parenthèses culturelles, est intemporel – la vitalité de la jeunesse, l’érotisme, l’éphémère. Son travail plastique est souvent onirique, mais parvient à ne jamais contredire l’instantané, au contraire pour mieux mettre en valeur l’essentiel d’un instant.

L’essentiel, c’est à dire les sens en éveil, les masques qui parlent, les énergies qui se sécrètent et que son travail de l’image déploie pour leur rendre l’échappée belle.

Hannibal Volkoff : l’autre voie de la Sibylle

« Hannibal Volkoff, c’est l’autre voie de la Sibylle. Prophétesse délirante pour certains, vérité première et sauvage pour d’autres, la seule révélation qu’elle livre, c’est la sienne : un dépassement des images (qui n’en sont plus tout à fait, donc) par les signes. Ce que le photographe demande au regard, ce n’est rien moins que le consentement. C’est Roland Barthes et sa phrase sur la littérature, que nous appliquons à la photographie, qui « est là pour donner un supplément de jouissance, non de décence ».

L’œuvre d’Hannibal Volkoff, c’est cette chute dans l’inconscient de la parole, ce gémissement de l’instant (et non sa pérennité), sa furieuse démangeaison. Ce traitement de la désirabilité, cet aveuglement torturé parce qu’aimant, on a tout lieu de croire que c’est là la nudité du Temps, sa matière lumineuse vouée à l’absence. C’est en vivant que l’on brûle. C’est en jouissant que les sens se retirent, qu’ils disent là, plus qu’à aucun autre moment : nous sommes partis.

Pourtant du Temps il est peu question ; on n’a pas l’impression que c’est une valeur en laquelle on croit particulièrement, en ces contrées. L’ambiance serait plutôt à la fête, non au tragique. Ce que la parole ne recueille pas, ses dépôts, c’est donc cette chasse aux signes qui la désigne. Il est là question de désir. De fait, le photographe n’est-il pas saisi là en flagrant délit de désirance ? Le plus participant, c’est lui. Il met son feu intérieur à l’épreuve des objets qui pulvérisent son regard. Tour à tour il se déploie, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il veut échapper à la définition qui pourrait peser sur lui. Son corps n’est pas celui d’un photographe ; sa seule vérité se trouve dans les gravures – écritures de la lumière – qu’il laisse dans des nuits parisiennes, mais je préfère parler d’errances plutôt que de mondanités. « J’y suis » raconte son corps. Et tous ces garçons qui le regardent, certains majestueux et beaux, d’autres extrêmement connotés, le tiennent bien parmi eux, et le célèbrent sans doute à sa juste valeur : à la façon qu’ils ont de dévisager l’artiste, on sait qu’il n’est pas pour eux un élément antinomique à la cérémonie qui a lieu. Sa présence relève de l’ordre du frère, non de l’ange.

Cela ne l’empêche pas de faire œuvre de divination. Pareil à la Sibylle, Hannibal Volkoff projette ces marges dans les couloirs d’un langage échappé de nos trajets, étrangers à nos alphabets. Il vient raconter des mythes qui pour nous ne sont que des échos, et les dépose dans le miroir inversé de la nuit.

Contrairement au sphinx d’Œdipe, pour lui ce n’est pas la personne qui est l’énigme, mais l’énigme qui est corps. Et elle est pour lui un peu plus que du corps : elle a pour âme ce signe gracieux, tout en blancheur, qui sait se détacher de lui et engendrer quelques instants la perte de son destin. Ce que l’on croyait vu n’était pas vraiment vu, ce que l’on croyait détestable n’était en fait qu’au service de notre plaisir, ce que l’on croyait douloureux n’était que la condition pour entrer dans la durée du « bon-heur ». Il y a dans ses révélations un ascétisme de l’œil, qui l’oppose à la parole, embrasse la forme, dépasse l’objet pour mieux tomber dans l’amoureuse consécration des signes.

Ce que j’aime dans les photographies d’Hannibal Volkoff, c’est qu’on a toujours l’impression d’avoir fait un pas de trop, d’avoir poussé une porte que l’on n’aurait pas dû ouvrir, de s’être imposé discrètement dans quelque chambre fermée. C’est la blague fameuse : « Comment ça vous ne voyez rien ? » hurle la femme au policier, qui ne voit rein d’anormal, qu’elle fait venir chez elle pour se plaindre du trop grand exhibitionnisme de ses voisins. Mais elle ne se décourage pas : «  Comment ca vous ne voyez rien : eh bien montez donc sur la chaise et redites moi que vous ne voyons rien ! » Tout cela, c’est parce qu’il nous montre l’endroit où cueillir ce qui lui tient lieu de rameau d’or. Et ce lyrisme de l’intime, cette anthologie des gestes perdus, ravages silencieux infligés à la mort, il n’est jamais de trop dans nos vies. Depuis la glorieuse période de Cumes, près de Naples, au récit de Virgile sur les bords du Lac d’Averne, dans le périple que fit Énée aux Enfers, la Sibylle a trouvé là son fils. »

Mathieu François du Bertrand

 

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